Qu'est devenu le buveur social en temps de pandémie?

Dans les services psychosociaux, il arrive souvent d’entendre « ­Je n’ai pas de problème de consommation d’alcool, je suis un buveur social ». Cette excuse prend tout son sens dans un contexte hors pandémie. Il y a maintenant plus d’un an que la crise sanitaire limite les contacts humains, et les buveurs sociaux se retrouvent confrontés à leur consommation. Sans le côté social, ­demeurent-ils buveurs ?

Gardons en tête qu’Éduc’alcool mentionne qu’une consommation modérée d’alcool correspond à 10 verres par semaine pour les femmes et à 15 pour les hommes. En juillet 2020, l’INSPQ (Institut national de santé publique du Québec) publiait les résultats d’une étude, qui se nomme COVID-19 - Pandémie et consommation d’alcool, menée entre le 31 mars 2020 et le 31 mai 2020. Durant cette période, 250 des 1000 adultes participants ont augmenté leur consommation d’alcool de manière significative. De ces 250 personnes, 39 % sont issus d’un ménage dont le revenu aurait diminué, et 37 % sont issus d’un ménage dont le revenu aurait augmenté au cours des deux mois de cette étude.1 On peut donc constater qu’il n’y a pas un contraste important entre ces deux résultats. L’augmentation de la consommation a donc eu lieu à la même échelle, que ce soit avec une perte ou un gain financier. Bien que cette étude ne nous indique pas la cause de l’augmentation de la consommation d’alcool pour les participants, le résultat nous porte à croire que -celle-ci n’est pas liée à des problèmes financiers. Mais quelle pourrait être la raison de l’augmentation d’alcool durant cette période de début de crise sanitaire ?

Les réponses rapides seraient : l’ennui, l’insécurité et la solitude causés par un ajustement inattendu, immédiat et obligatoire de la routine de vie. Du jour au lendemain, les gens se sont retrouvés avec beaucoup de temps libre parce qu’ils ne travaillaient plus ou passaient beaucoup de temps à la maison en télétravail.

La solitude a pris une grande place dans le quotidien en raison de la distanciation sociale et des mesures de confinement obligatoires. Il en a résulté une insécurité collective, notamment reliée à l’argent, à la gestion des enfants et, parfois, à la perte d’un proche. Pour plusieurs, la consommation d’alcool et de drogue pourrait être devenue un mécanisme d’adaptation rapide grâce à ses effets qui réduisent le stress, l’anxiété et amoindrissent certaines émotions, créant ainsi une sensation de plaisir et d’apaisement à la fois pour le corps et le cerveau. Cependant, le cerveau étant un organe qui s’adapte aux changements, la substance consommée (alcool, drogue, pornographie, etc.) devient alors la clé synthétique qu’il associe à son -bien-être, afin d’éliminer ou de rehausser les sensations et émotions désagréables ou agréables.3

La consommation d’alcool devrait toujours être un choix et non un remède miracle. Il est évident que la crise sanitaire a augmenté l’ennui, accentué la solitude et l’insécurité générale ; alors, que pourraient être les solutions de rechange à la consommation? La réponse à ces trois maux reste, selon moi, l’accomplissement de soi en s’investissant dans un projet ou en nourrissant une passion et/ou un rêve à long terme. C’est ce qui aura pour effet de venir combler l’ennui, égayer un tant soit peu la solitude et rehausser l’estime de soi. On sait que la satisfaction obtenue en réalisant un projet ou une passion améliore l’épanouissement personnel et peut apaiser certaines insécurités. Il est fréquent d’entendre plusieurs personnes mentionner que la crise sanitaire les prive de faire ce qu’elles aiment. Il est vrai que tout n’est plus aussi simple et facile qu’avant, mais les passions n’ont pas à être extravagantes, complexes ni onéreuses pour être plaisantes et satisfaisantes.

Néanmoins, ce n’est pas l’abstinence qui est prônée dans cet article ; on suggère plutôt des avenues en insistant sur les avantages à diminuer sa consommation d’alcool. Tout d’abord, sur la santé physique : l’alcool étant hépatotoxique, le corps doit l’éliminer comme une toxine laissant des séquelles à chaque consommation. La littérature démontre que la diminution d’alcool au quotidien peut limiter l’apparition de certaines maladies, comme le cancer et les maladies chroniques, telles que le diabète, l’hypertension, ou la cirrhose du foie, en plus de favoriser une perte de poids. Ensuite, sur la santé psychologique : la diminution de la consommation d’alcool améliore la motivation ainsi que la gestion de l’impulsivité, en plus de réduire les risques de développer une dépendance ou un trouble de santé mentale grave comme une psychose.

Sur le plan financier, le coût moyen de la consommation d’alcool par individu au Canada en 2017 était de 455 $ par année. Si la consommation d’alcool quotidienne diminue, le revenu annuel n’en sera que bonifié.

La diminution de l’alcool fait une différence dans une journée et dans une vie, en qualité et en durée. Cependant, comme l’alcool est très valorisé dans un contexte social, donc très accessible, il nous est plus difficile d’en reconnaître les impacts insidieux. Dans ce contexte, la modification de notre perception de l’alcool et de sa socialisation nous revient. De plus, évaluer nos besoins, effectuer un travail sur soi, combler l’ennui et la solitude, vaincre les insécurités du quotidien sont là tous des moyens concrets pouvant faire la différence pour que l’alcool reste une option sans devenir un besoin.

Charles Lehouillier
Sexologue et intervenant en dépendance. Son but principal est d’aider sa clientèle à tendre vers la meilleure version d’elle-même. En plus des consultations en présentiel à Saint-Hyacinthe, il fait de la télépratique avec des clients, anglophones et francophones, partout au Canada.
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Références
1. Leroux, S., & ­Richard, C. (2021). ­COVID-19 – ­Pandémie et consommation.
2. ­Centre de collaboration nationale des méthodes et outils. (2020). Quels sont les effets de la pandémie de ­COVID-19 sur la consommation d’alcool et sur les méfaits liés à l’alcool ? https://www.nccmt.ca/fr/­referentiels-de-connaissances/­covid-19-­rapid-evidence-service.
3. Samir, D. (2019). Action des drogues sur le cerveau. ResearchGate.
4. ­Taylor, G.I. (2015). Rapport de l’administrateur en chef de la santé publique sur l’état de la santé publique au ­Canada, 2015 : ­La consommation ­d’alcool au ­Canada. Agence de la santé publique du ­Canada.
5. April, N., ­Bégin, C., & ­Morin, R. (2010). La consommation d’alcool et la santé publique au ­Québec. Institut national de santé publique du ­Québec.
6. ­Young, M. Ph.D ; et ­Al. (2020). Canadian ­Substance ­Use ­Costs and ­Harms 2015‑2017. Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS). ISBN ­978-1-77 ­178-670-6.

Charles Lehouillier

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