Accueillir nos émotions

RELATION D'AIDE

Qu’-est-ce qui nous pousse, quand nous souffrons, à nous défendre contre l’émotion dite négative en la refoulant et en la rationalisant plutôt que de nous laisser couler dans le sens de son énergie sinon la peur de souffrir et le jugement que nous portons sur elle ?

J’ai longtemps jugé sévèrement certaines de mes émotions, particulièrement la peine et la colère, parce que j’avais honte de ma grande sensibilité que je croyais trop intense, voire anormale. Parce que, enfant et adolescente, je dérangeais parfois mon entourage quand je les exprimais et parce qu’elles m’ont aussi attiré le rejet et surtout l’humiliation, j’ai vite conclu que les émotions souffrantes étaient exécrables et que j’étais une mauvaise personne du seul fait de les ressentir. Je les jugeais donc durement et je luttais souvent très fort pour les refouler. J’avais trop peur de perdre l’amour de ceux qui m’étaient chers, peur de décevoir ceux qui ne me connaissaient pas ou me connaissaient peu et surtout peur de subir les mêmes conséquences que celles que j’avais vécues dans le passé si je me risquais de nouveau à les exprimer. C’était devenu un réflexe naturel pour moi de cacher ma peine ou d’en réduire considérablement l’intensité si j’osais la montrer. J’ai vite appris à la réprimer et à la rationaliser. Je laissais ainsi aux personnes de mon entourage tout le pouvoir sur ma vie. Si elles m’approuvaient, j’étais bien et si elles me désapprouvaient, j’étais malheureuse.

J’ai réagi de la même manière au cours des premiers mois qui ont suivi l’apparition des symptômes de ma maladie avec la tristesse, la peur, l’insécurité et l’impuissance que déclenchaient en moi mes douleurs physiques. J’ai rationalisé ces émotions parce que je ne voulais pas tomber dans l’apitoiement. Cette peur de m’attirer de la pitié provenait d’une expérience relationnelle avec un de mes éducateurs à l’école secondaire dont l’attitude de victime provoquait en moi une constante culpabilité. Je me sentais coupable de sa souffrance et surtout coupable de ressentir pour lui de la pitié et de ne pas l’aimer. Aussi, pour ne pas déclencher cette pitié culpabilisante qui fait fuir l’amour, je me défendais de mon vécu en cherchant constamment des explications à tous mes symptômes : « Quel aliment avais-je mangé qui ne me convenait pas ? Quelle situation de stress avais-je vécue ? Quel geste avais-je posé ou quelle action aurais-je dû poser pour m’épargner cette douleur ? Quelle attitude aurais-je dû prendre avec telle personne ou dans telle situation ? »

Le besoin de trouver une cause à mes douleurs pour les soulager m’obsédait tellement que j’entretenais une nervosité qui plaçait mon corps dans un état quasi permanent de tension. Plus je me questionnais, plus il se rigidifiait et plus mes symptômes persistaient. En essayant de contrôler mes émotions, je perdais paradoxalement le contrôle de tout, spécialement de ma santé.

Pourtant, quoi de plus normal qu’une émotion ? Comment se départir d’un état affectif inhérent à notre nature même d’être humain sans participer à notre destruction ? C’est précisément quand l’énergie émotionnelle du moment présent est bloquée qu’elle finit par céder comme certains barrages à la fonte des neiges et qu’elle provoque soit des maladies, soit des dépressions, soit des débâcles de violence que nous tournons parfois contre les autres, mais le plus souvent contre nous-mêmes.

En effet, sommes-nous vraiment conscients que nous nous faisons violence, que nous réduisons notre énergie vitale et que nous nous créons petit à petit des maladies chaque fois que, dans l’ici et maintenant des situations de la vie quotidienne, nous n’accueillons pas nos émotions parce que nous les considérons, pour une raison ou pour une autre, comme des obstacles à notre fonctionnement normal en société ? N’est-ce pas aberrant qu’au nom de la normalité nous réagissions dans le sens contraire de notre essence même ? N’est-ce pas étrange que nous soyons tellement dépourvus devant nos troubles intérieurs que nous ne sachions pas comment les gérer et comment nous en libérer sans nuire à notre santé ?

Comment gérer et nous libérer de nos émotions souffrantes ?
La répression de l’émotion se trouve toujours à la source de souffrances physiques et de souffrances psychiques à court ou à long terme parce que la nature n’accepte pas le déséquilibre causé par le refoulement et ne pardonne jamais le manque de respect à son égard. Aussi, plutôt que de lutter contre elle pour la faire disparaître ou de l’amplifier en entretenant des pensées négatives, nous aurions avantage à adopter avec elle les seules attitudes qui puissent éventuellement nous en soulager : l’accueil, l’acceptation et l’écoute.

Accueillir l’émotion, c’est lui laisser sa place quand elle se manifeste sans se laisser submerger par elle ; c’est apprendre, par le travail sur soi, à lever les jugements que nous portons sur elle et, conséquemment, sur nous ; c’est reconnaître qu’il est tout à fait normal de ressentir parfois de la peine, de l’impuissance, de l’insécurité, de la peur, de la colère ou du ressentiment à cause des traces profondes qu’ont laissées en nous nos expériences passées. Accueillir l’émotion, c’est s’aimer assez pour prendre les moyens de l’apprivoiser et de l’accepter quelles que soient sa nature et son intensité. Seul cet accueil nous permettra d’apprendre à la gérer en sollicitant les ressources de notre Conscience profonde.

L’accepter, c’est la prendre comme un cadeau plutôt que comme une enqui-quineuse même quand elle se montre désagréable, sans quoi nous n’arriverons jamais à écouter son message. En fait, je suis maintenant convaincue que tout a sa raison d’être dans nos vies, autant les émotions qui nous font souffrir que les maladies et toutes les autres épreuves. Quand elles se présentent, mieux vaut les accepter si nous ne voulons pas nous enliser dans le combat défensif ou la résignation qui nous font reculer plutôt que de nous faire évoluer. L’acceptation nous donne le pouvoir de croître et de changer parce que, grâce à elle, nos actions sont fondées sur la réalité présente plutôt que sur une réalité qui n’existe plus ou qui n’existe pas encore. L’acceptation de nos émotions représente l’unique moyen dont nous disposons pour nous ouvrir à l’écoute des messages qu’elles portent.

C’est vraiment en acceptant de faire face à la tourmente intérieure au moyen de l’observation que cette même tourmente devient un phare qui mène au bien-être intérieur parce que, quand nous l’accueillons et que nous l’écoutons, ce qui est bien différent de s’en plaindre ou de s’y complaire, elle nous guide directement vers le-bien-être recherché. Ainsi abordée, la souffrance psychique ne représente plus un obstacle à la paix profonde, mais constitue plutôt une porte d’entrée pour y accéder parce qu’elle peut nous révéler des messages qui, quand ils sont entendus, peuvent faire renaître en nous la joie de vivre.

Moyens pour entendre les messages de l’émotion
Afin que notre souffrance émotionnelle nous révèle ses messages, il existe plusieurs façons de l’aborder. Nous pouvons tout simplement l’exprimer à des personnes de confiance susceptibles de nous aider à saisir son langage. Cependant, quand cette solution ne nous est pas accessible, nous pouvons approcher le trouble qui nous habite dans le calme et le silence à partir de la Conscience profonde. La Conscience profonde est la partie intérieure de notre être, cette partie que je qualifie de divine parce qu’elle a le pouvoir d’observer, à partir du dedans, les pensées et les émotions pendant qu’elles se produisent, dans l’ici et maintenant d’une situation. Cette Conscience qu’Eckhart Tolle nomme Présence, à laquelle Assagioli donne le nom de Soi, que Jean Lerède appelle le Surconscient et qui a reçu selon d’autres auteurs les appellations de -Supraconscience, de Moi supérieur, de Guide intérieur, de Sage, agit avec nos émotions comme un bon thérapeute se comporte avec celles d’un patient. Le bon thérapeute ne les juge pas, ne les rationalise pas, ne les réprime pas, ne les dramatise pas et ne les banalise pas non plus. Au contraire, il leur permet d’ÊTRE tout simplement parce qu’il sait qu’elles sont des panneaux indicateurs qui longent la route de nos vies pour nous conduire vers la sérénité et l’amour. Quand nous sollicitons ainsi les vertus de la force intérieure, il s’ensuit que la conscience rationnelle remplit son vrai rôle. Au lieu de nous faire fuir nos émotions par le jugement et la rationalisation ou de contribuer à les dramatiser, elle devient une alliée de la Conscience profonde pour les identifier et déchiffrer les messages qu’elles renferment.

Cette démarche est toujours bénéfique parce qu’elle naît d’une participation de nos dimensions rationnelle et irrationnelle dans le respect de leurs fonctions et de leur nature. De plus, j’ai constaté que, quand j’accueille et que j’observe, à partir du dedans, mes émotions telles qu’elles sont dans le moment présent sans les réprimer, sans me laisser submerger par elles, je n’ai plus à chercher désespérément les solutions extérieures à mes problèmes, car elles viennent à moi au bon moment.

Trois étapes pour entendre les messages de l’émotion
L’écoute de nos émotions suppose un certain lâcher prise. Plusieurs moyens sont à notre disposition pour y arriver.

1. La relaxation (musique douce, marche dans la nature, exercices doux comme le Qi-Gonq, etc.) est un moyen privilégié pour lever la défensive et pour faciliter le décrochage des pensées autodestructrices.

2. La méditation, en se centrant sur le bien-être intérieur ressenti dans tout le corps après la relaxation

3. Le dialogue avec l’émotion, à accomplir à l’aide d’un cahier et d’un crayon. Laissez aller votre plume sans trop penser, laissez couler ce qui monte de l’intérieur sans jugement


COLETTE PORTELANCE
TRA, Thérapeute en relation d’aide par l’ANDC
Fondatrice du Centre de relation d’aide de Montréal (CRAM)

www.cramformation.com • Facebook : CRAM.EIF

Par Colette Portelance

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