Janette Bertrand - L’espoir d’un monde meilleur

Entrevue

Depuis toujours, Janette Bertrand est habitée par la volonté de faire tomber les tabous et les préjugés de toutes sortes. Pourquoi arrêterait-elle de faire ainsi à 94 ans ? C’est pour combattre l’ignorance qu’elle a eu envie, dans son dernier livre, de s’interroger sur les problèmes liés à la vie sexuelle. Et ce n’est pas son âge qui l’empêche de s’engager pour cette cause, et aussi pour celle de l’environnement. Sage discussion avec une femme d’expérience.

Fière, c’est le mot qui lui vient spontanément quand elle pense à son plus récent livre, Vous croyez tout savoir sur le sexe ?, publié à l'automne. « Cet ouvrage était plus que nécessaire. D’ailleurs, il devait porter le titre suivant : La nouvelle ignorance sexuelle. Les gens pensent tout savoir, et en fait, c’est tout le contraire. Je crois qu’on devrait poser davantage de questions, mais on a peur des réponses. Cela crée un cercle vicieux, et on entretient cette ignorance. Pour tenter de combattre ce manque flagrant d’informations, je me suis trouvée un allié de taille, le sociologue Michel Dorais. Il a écrit une trentaine d’ouvrages portant sur la sexualité. Avec lui, je me suis permis d’explorer toutes les avenues possibles pour obtenir les explications les plus justes. » Alors que les cours de sexualité ont peine à se trouver une place de choix dans le programme d’éducation actuel, Janette pense que son livre pourrait devenir un outil de références pour aider les parents et même les plus jeunes dans leurs questionnements. « Ce n’est évidemment pas un livre de chevet, mais je crois que c’est un livre qu’on devrait laisser traîner, sur le coin d’une table, en espérant que le hasard fasse son travail. Vous savez, les tabous entourant la sexualité ne datent pas d’hier. L’homme, dans la perception de toutes sociétés, se doit de tout connaître. Et où va-t-il chercher l’essentiel de ses connaissances en ce moment ? À travers la pornographie, alors que cet univers est complètement faux. On est dans le droit de s’inquiéter quand on pense à nos jeunes garçons qui découvrent leur sexualité de cette manière. »

Malgré toute l’ouverture dont fait preuve notre société, il est étonnant de constater qu’avec tous les outils dont on dispose, la sexualité demeure un sujet tabou. « Il faudrait éduquer les enfants alors qu’ils ont encore l’âge de nous écouter, c’-est-à-dire avant 14 ans. Combien de parents me disent être découragés par la non-réceptivité de leurs enfants quand vient le temps de discuter de sexualité ! Ce constat me trouble au plus haut point. Nous avons peut-être évolué ces dernières années, mais le chemin qui reste à parcourir est encore bien long. Il faut secouer les gens, et c’est ce que j’ai voulu faire, encore une fois. »

Pour ses arrière-petites-filles
Chose assez curieuse, c’est un livre qui dérange et qui, selon son auteure, fait peur. « C’est dommage, car s’il y a une chose que j’ai apprise, c’est qu’il n’y a rien de plus simple que de faire l’amour. Aujourd’hui, on cherche le côté sophistiqué du plaisir, et c’est ce qui me rend triste. J’aurais toutes les raisons de ne pas m’en soucier, car je ne serai pas là dans quelques années pour voir tout ce gâchis… mais j’en suis incapable. » C’est en pensant à ses cinq arrière-petites-filles que Janette trouve la motivation de continuer à vouloir éduquer. « Je me souviens, il y a de cela plusieurs années, avoir acheté un livre sur le corps humain. Je voulais l’offrir à mes propres enfants, alors qu’ils étaient encore bien jeunes. En parcourant son contenu, j’ai réalisé qu’il n’y avait rien qui portait sur le clitoris. On n’en parlait pas. Cet organe de plaisir n’avait pas sa place, car il ne sert aucunement à la reproduction. C’est quand même aberrant qu’en 2019, on en soit encore au même point. Pourquoi ai-je vu des hommes devenir mal à l’aise en découvrant la couverture de mon livre ? Ça me trouble profondément, c’est comme si je n’avais rien écrit. »

Apprendre et évoluer grâce aux autres
Janette Bertrand a toujours eu cette soif d’apprendre. Elle savait que c’était en s’entourant de gens plus expérimentés qu’elle aurait l’occasion d’évoluer. « J’ai été mariée 30 ans avec un homme qui était mon mentor et avec qui j’ai beaucoup appris. Aujourd’hui, ma dynamique amoureuse est bien différente. Non seulement nous avons 20 ans de différence d’âge, mais personne n’est le mentor de l’autre. Nous sommes dans une égalité totale, malgré les hauts et les bas d’une vie à deux. Il n’y a que l’amour qui tient les gens ensemble. Peu importe nos différences, nous avons besoin des autres pour vivre heureux. »

Cette énergie contagieuse qui habite sa tête est bien différente que celle qui habite son corps. « Hélas, je ne suis pas du genre à me mentir. Je trouve ça extrêmement frustrant de voir mon corps traîner de la patte. J’en parle rarement, car je ne veux pas devenir un boulet pour les autres. Parfois, je me permets de dire à mon chum qu’il serait grand temps de venir me porter aux vidanges ! On en rit, heureusement, mais c’est une réalité à laquelle je ne peux échapper. C’est ça, avoir 94 ans. »

Avoir le privilège d’être vivante, c’est aussi savoir profiter de chaque instant, et c’est à travers sa propre famille que Janette puise l’essentiel de sa force. « J’ai besoin d’être entourée de ceux que j’aime. Les occasions de faire la fête ne manquent pas chez moi. Je tiens ça de mon père, il était très rassembleur. Quand vient le temps de recevoir la famille, nous sommes pas moins de 26 autour de la table. Oui, c’est du trouble, et c’est parfois épuisant, mais c’est tellement gratifiant. Quand la maison est pleine, je suis heureuse. »

Être bien entourée semble primordial dans cette quête du bonheur. Quand on demande à Janette de nous révéler le secret de son éternelle jeunesse, la réponse n’a rien d’étonnant. « Il ne faut jamais arrêter de vouloir apprendre. Les générations qui nous précèdent sont infiniment inspirantes, et il faut savoir les écouter. Je crois que ce dont il faut se méfier le plus, c’est la peur du jugement des autres. Quand on s’empêche de dire ou de faire quelque chose simplement par peur d’être jugé, on commence à creuser notre propre tombe. Quand j’ai rencontré Donald, il n’y a rien au monde qui m’aurait empêchée de l’aimer. Je me foutais complètement de ce que les gens pouvaient dire à notre sujet. Je ne les entendais pas. Pourquoi une femme d’un certain âge ne pourrait pas être amoureuse d’un jeune homme, alors que le contraire ne dérange personne ? J’avais décidé de l’aimer malgré les tabous. »

Un livre qui ne la quitte pas: 
« Je relis souvent les livres que j’ai aimés, dont Il faut qu’on parle de Kevin, de Lionel Shriver, toutes les histoires de Georges Simenon ainsi que de l’écrivaine Colette. » 

Un livre qu’elle a découvert dernièrement:
« Lili blues, de Florence K. Une merveilleuse histoire d’amour. »

Que fait-elle pour se détendre? 
« Du pilates, une ou deux fois par semaine. »

L’environnement à cœur
Éternelle optimiste, il n’y a rien d’étonnant de voir apparaître le nom de Janette Bertrand parmi les milliers de signataires du Pacte, ce manifeste qui représente un serment solennel afin de s’engager, comme citoyens, à réduire notre empreinte écologique. « J’ai peur pour les générations à venir, et c’est mon devoir de donner l’exemple en matière d’environnement. Il faut que chacun fasse sa part, que ce soit par de petites ou de grandes initiatives. Faire du compostage ou prendre moins souvent la voiture, ce n’est pas sorcier. Je crois au pouvoir du nombre. Ensemble, on peut faire une différence. Il ne faut pas attendre de trouver une solution miracle, il faut commencer par de petits gestes qui font tout de suite une différence. Il faut montrer l’exemple pour entretenir l’espoir d’un monde meilleur. »


VALÉRIE GUIBBAUD
Journaliste, animatrice et chroniqueuse culturelle

Par Valérie Guibbaud

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