Des héros de tous les jours

yogathérapie

Chaque semaine, je vais enseigner le yoga adapté dans un endroit incroyable. Connaissez-vous l’école secondaire Joseph-Charbonneau ? Avant d’y avoir accès, je ne savais pas qu’un tel endroit existait à Montréal. Cette école, qui appartient à la CSSDM, accueille 192 enfants polyhandicapés de 12 à 21 ans. Certains d’entre eux ont en plus une déficience sensorielle et/ou intellectuelle. Et tous les jours, ils viennent étudier. Oui, vous avez bien lu, ils viennent étudier. Qu’il vente, qu’il neige, qu’il grêle, ils sont là !

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©Anikoo Magny - Magazine Mieux Etre

Routine du matin
Dès 8 h, se faufilent 80 autobus jaunes dans les garages de l’école. Car cette école comporte des garages qui communiquent directement avec les étages où se trouvent les classes. Je découvre une organisation exceptionnelle huilée au quart de tour. Chaque élève a un préposé désigné selon ses besoins de la journée. Dans quelques minutes, les couloirs de l’école vont s’animer comme toutes les écoles secondaires à travers le Québec.

Mon moment préféré est la pause de 10 h. La cloche retentit, et les collations vont bon train. Les préposés s’activent pour aider à dévisser, à ouvrir un couvercle ou à porter une cuillère à une bouche. La complicité est palpable, et les blagues fusent ! Les adolescents se rencontrent, discutent et la musique du top 50 en fait danser certains.

Comme vous et moi
Aucun de ces adolescents n’a envie qu’on pose sur eux un regard de pitié. Le personnel qui travaille ici est dévoué, passionné, compétent et a une capacité à exprimer une empathie avec justesse. Ce n’est pas tout le monde qui peut travailler dans cette école. Ces adolescents ont certes une mobilité réduite, très réduite, avec parfois une déficience moyenne à très lourde, mais il n’en demeure pas moins qu’ils ont leur personnalité bien distincte et chacun leur façon de voir le monde. Que ce soit à travers leurs passions, leurs goûts, leurs émotions, les hauts et les bas de la vie, les chicanes à la maison, et même à travers l’amour, ils sont comme vous et moi, quoi !

La classe de Mylène
Chaque lundi matin, je vais dans la classe de Mylène, enjouée, créative. « Je les vois au-delà de leurs limites ; je peux voir leur potentiel. Je crois tellement en eux », me dit-elle. Et chaque petite victoire apporte un sentiment incroyable, ajoute cette enseignante. Je la seconde. Les élèves de Mylène sont motivés, joyeux, et à la fin de chaque classe, on danse. Mylène invite Junior à formuler une phrase complète ; on lui donne le temps. Les mots ne sortent pas aussi vite qu’il le voudrait : « Je veux la chanson Happy ! » Nous applaudissons toutes les deux !

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©Anikoo Magny

La classe d’Hélène
Le jeudi matin, j’enseigne dans la classe d’Hélène à 8 h 30. Hélène prépare la classe à partir de 8 h. Elle oublie souvent ses céréales qui, à présent, flottent dans le fond d’un doigt de lait. Tous les jours, ces professeurs se réinventent. Hélène attend sa petite famille. « On se trompe parfois, on l’appelle Maman ! », me dit en riant Justin, 18 ans. Justin a un rire communicatif et une bonne bouille. Il se déplace aisément dans son fauteuil électrique. Dès la première classe de yoga, il me mentionne qu’il a une chaîne YouTube, Les aventures de Justin à roulettes. Justin est très attachant. Ils le sont tous.

La classe de Christina
Dans la classe de Christina les mardis matin, il y a Juliette, 16 ans. Elle est tout de suite très motivée à explorer le yoga dans son corps, qui est secoué par de multiples spasmes. Juliette est très jolie, coquette, et a des doigts fins qui mettent en valeur de jolies bagues à la mode. Juliette souffre de paralysie cérébrale. La paralysie cérébrale est le nom donné à un groupe de divers troubles du système nerveux, présents à la naissance ou apparaissant au cours des trois années suivantes. Elle touche entre un et deux nouveau-nés sur mille, bien que certains d’entre eux ne subissent qu’une atteinte légère. Ce n’est pas léger chez Juliette. Cette dernière comprend tout, mais ne parlera ni ne marchera jamais. Elle réfléchit, se concentre 100 fois plus que vous et moi pour que l’information que je lui donne puisse arriver dans son corps. Je lui demande d’entrer à l’intérieur de son bras droit pour construire Tadasana, la posture de la montagne. Souffle après souffle, elle y parvient avec un large sourire de fierté ; elle n’abandonne jamais, sous les yeux émus de son enseignante.

La classe de Radia
Dans la classe de Radia au niveau vert, aucun des élèves ne parle. Gabriella et Zara crient souvent, et il faut détecter ce que cela signifie. La déficience des six élèves dans la classe de cette professeure est lourde. Zoé est atteinte d’une paralysie cérébrale sévère ; une importante scoliose l’oblige à porter un corset. S’ajoute à cela une grande difficulté à respirer. J’entre dans la classe, et Zoé dessine des sourires sur son visage. Un yoga tout en douceur pour cette jeune fille de 13 ans. Mes yeux plongent dans les siens qui sont d’un beau bleu azur. Le regard de Zoé est vrai, intense, sans filtre, sans malice, et j’ose en redemander. Souvent, nous rions ensemble quand Zara pousse son cri dont elle seule a le secret ! Radia, la professeure, rit aussi de bon cœur. Elle a toujours un mot doux au sujet de chacun de ses élèves même si je peux facilement constater toute l’énergie nécessaire et la foi qu’il faut pour enseigner dans ce contexte. « Je rêve souvent d’eux. Je les vois marcher ou me parler. Je les comprends au point où je dépasse le handicap et la déficience. Dans la classe, je leur offre une qualité de vie. »

Des enseignants en or
Du lundi au vendredi, je suis accueillie par 11 enseignants spécialisés, tous extraordinaires. Radia, Angela, Camille, Kalina, Brigitte, Christina, Hélène, Leila, Mylène, Anne et Richard, savez-vous à quel point je vous admire ? Merci de m’offrir ce grand privilège qu’est d’enseigner à 67 élèves, mes grands héros de tous les jours.

Des élèves inspirants
Chaque enfant m’apprend la persévérance, la force, la patience à travers leur pratique de yoga, et la vérité joyeuse. Mais qu’est-ce qui motive ces enseignants ? « Mes élèves rouvent de la beauté et de la joie dans toutes les situations qui se présentent à eux, y compris les plus difficiles. Ils ont vécu tant d’épreuves dans leur vie que j’ai l’impression qu’ils sont connectés à leur ressenti par un canal direct, ce qui leur donne l’aptitude naturelle à s’enquérir des autres. Ce sont eux qui m’enseignent la force d’accepter ce qui m’arrive et ils s’informent au sujet de ma santé », me confie avec émotion Hélène. « Mes élèves sont vrais et drôles, surprenants et reconnaissants, et ils me donnent beaucoup d’amour », ajoute-t-elle.

Micwki, le héros !
Je ne peux pas terminer ce texte sans vous parler d’un autre de mes héros de tous les jours à qui j’enseigne les jeudis matin : Micki, 20 ans. L’autre fois, à l’heure de la collation, je le croise, et il est en train de danser, les yeux fermés, dans son corps noué et raidi ; les notes de la chanson Believer, du groupe Imagine Dragons, le transportent ; il chante à tue-tête dans son fauteuil, bien sanglé dans un plastron serré. Il est beau à voir. Micki n’oublie jamais de me saluer avec le Namasté le plus doux que j’ai reçu à mes oreilles. Micki est bien conscient de son corps. Son corps est spastique ; il émet des contractions musculaires anormales et involontaires, causées par un trouble du système nerveux central. Et les douleurs sont là. Quand Micki rentre dans les postures, c’est à l’aide de la visualisation avant tout. Il faut le voir fermer ses yeux et se laisser guider par ma voix ! Les espaces dans son corps se créent tout doucement. Dernièrement, il a accepté qu’on enlève son plastron pour, souffle après souffle, avec une détermination incroyable, éloigner son dos de son fauteuil, dans la posture de Utkatasana.

Cette chanson, décidément, lui va bien : Believer, le Croyant. « Chanter du fond du cœur la douleur venant du chagrin, je fais passer mes messages du plus profond de mes tripes. En récitant ma leçon du fin fond de mes méninges, en contemplant la beauté à travers le chagrin. »

À vous, mes 67 élèves de l’école secondaire Joseph-Charbonneau, héros sous mes yeux tous les jours, qui donnez un sens à ma vie ! 

STÉPHANIE KITEMBO
Yogathérapeute, fondatrice de That’s Yog
Après une longue carrière dans les médias et en communication, Stéphanie Kitembo s’est réinventée dans la transmission du yoga et de sa philosophie à l’âge de 40 ans. Elle met sur pied son entreprise That’s Yoga, qui propose du yoga adapté et thérapeutique. Depuis sept ans, elle se spécialise dans l’enseignement du yoga en mobilité réduite, en déficience et en santé mentale.

Par ­Stéphanie ­Kitembo

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